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Débuté en 80 à Athens, - Géorgie - l'histoire d'un groupe "dinosaure".
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Le Pays du rock était une vaste contrée unifiée jusqu'au milieu des années 70. Après la fracture punk de 77, la belle fédération a éclaté comme une vulgaire URSS - chacun son fief. Parallèlement à cet éparpillement façon puzzle, on assistait à une séparation des pouvoirs - crédibilité artistique et succès populaire chacun de son côté. Planter leur tente au sommet des charts n'empêchait pas les Dylan, Beatles et Stones de récolter les palmes critiques. Mais après le nouveau Yalta, un groupe qui vendait des wagons de CD était tout de suite suspecté de compromis ou de dilution ; l'excellence artistique et l'intégrité allaient de pair avec une certaine notion d'exclusivité, une valeur ajoutée du secret. L'idiosyncrasie esthétique était incompatible avec le plus petit dénominateur commun des masses. L'amour de House 0f Love n'aurait su tolérer un succès planétaire, pas question de voir les Smiths au Parc des Princes, marrant comme Cure avait subitement perdu son aura en devenant le roi des stades américains. A cette règle tacite, à cet usage non écrit mais bien compris, l'exception serait REM. Un groupe spécial, le seul qui sache aujourd'hui conjuguer sans hiatus existentiel l'éthique et les chiffres de vente, le seul dont l'exposition aux feux médiatiques n'entame pas la moindre parcelle de mystère, le seul qui fédère naturellement les puristes et les shampouineuses, un pied au château et l'autre au garage sans désespérer Billancourt - le grand écart sans se péter les adducteurs. Un tel "miracle" n'est pas né d'un coup de médiator du Grand Esprit du rock. Entre les bouges d'Athens et les super rotations de MTV~ quinze années de disques, de tournées, de fatigues, d'allégresse, d'engueulades, quinze années de montée en charge. L'histoire banale d'un groupe de rock. L'histoire unique de REM.

Sur le front des charts, c'est la seconde invasion anglaise, celle des garçons coiffeurs (Duran Duran, Haircut 100, ABC, Depeche Mode). Sur le front indé, le volcan punk new-yorkais s'éteint doucement; Los Angeles connaît quelques éruptions sporadiques (Plimsouls, Screamers, Unknowns) mais trop régionales pour espérer faire trembler le monde. C'est dans ce contexte que l'on commence à parler d'une petite ville de Géorgie où bourgeonne une scène rock dont les fers de lance sont Pylon et les B-52's. Quand ces derniers montent à New York pour présenter leurs choucroutes et leur twist post-punk, ils se font remarquer par toute la presse hip : Athens surgit sur la carte du rock. Pendant ce temps, en cette rentrée universitaire 79, Michael Stipe, fils de militaire solitaire et introverti, s'inscrit en arts plastiques et photo ; il aime aussi la musique qu'il a récemment découverte avec Patti Smith et la scène du CBGB. Peter Buck, boulimique de rock, tatoué à vie par le Velvet, travaille à Wuxtry, le disquaire du quartier universitaire. Mike Mills et Bill Berry débarquent de Macon, qui n'est pas la capitale du jambon persillé mais celle du rock sudiste des seventies, ainsi que la ville natale de Little Richard; Mike et Bill viennent à Athens pour étudier, mais surtout pour faire la fête et briser la routine maconienne. Nos deux gredins, respectivement bassiste et batteur, ont déjà joué dans divers groupes à influence Allman Bros ou Lynyrd Skynyrd : deux bons bougres du Sud, compétents musicalement mais pas exactement à la pointe de la new-wave. Stipe est un client habitué de Wuxtry; il s'y lie d'amitié avec Buck. A force de parler musique, ils décident de bidouiller un embryon de groupe: Buck commence à bosser la guitare en autodidacte. Il leur manque une rythmique. Un soir à l'occasion d'une fête, une amie commune, Kathy O'Brien, les présente à Mills et à Berry: Platini et Giresse viennent de rencontrer leur Tigana et leur Fernandez. Comme chez les footeux, l'alchimie particulière du carré magique tient dans l'équilibre subtil entre génies et porteurs d'eau: à ma gauche, Stipe et Buck, musiciens limités mais bourrés d'idées ; à ma droite, Mills et Berry, techniciens solides qui donnent une assise aux deux ludions. Très vite, Buck devient un as du manche, REM prenant une configuration à la Doors : les trois musiciens les pieds sur terre et devant, le génie patenté, la tête dans les étoiles.


Le 5 avril 1980, méga teuf dans une église squattée d'O'Conee Street pour le vingtième anniversaire de Kathy O'Brien. Ce concert bordélique, électrique et joyeux constitue la première sortie du groupe qui ne s'appelait même pas encore REM mais The Twisted Kites. Le gig composé de classiques du rock et de quelques originaux attire l'attention des programmateurs de clubs locaux. Devant l'afflux de propositions, Stipe, Buck, Mills et Berry sont contraints de trouver un blaze : ce sera REM, initiales de Rapid Eye Movement, le moment le plus intense des rêves. Mais les quatre préviennent que chacun peut coller à REM la signification qu'il veut : bienvenue à Rugby Equitation Moto. Le 19 avril, ils font leurs débuts officiels au Koffee Klub et deviennent en quelques semaines les coqueluches du quartier universitaire. Aujourd'hui Athens, demain le monde. En juillet, un jeune promoteur les engage pour deux soirées dans l'état voisin de Caroline du Nord: Jefferson HoIt deviendra quelques mois plus tard leur manager et cinquième membre virtuel. De l'avis des témoins de l'époque, ce REM en gestation est un pur groupe de rock'n'roll, une escouade qui chauffe les salles et brûle les planches à coups de reprises standards: leurs originaux, qui racontent des histoires banales de filles et de garçons, sont passables sans plus. Rien ne laisse présager la suite.

A force d'écrémer les clubs, REM progresse: Buck améliore son jeu et développe une technique en arpèges et accords ouverts unique dans le rock de l'époque; Stipe et Mills écrivent un paquet d'originaux. Les textes de Stipe changent radicalement d'orientation : il découvre les vertus du flou artistique, les privilèges de la zone d'ombre et du non-dit. C'est durant cette période féconde que sont créées une partie des chansons qui rempliront les premiers disques. Le 15 avril 1981, ils enregistrent leur premier single à Winston/Salem sous la houlette du jeune producteur prodige Mitch Easter. Tiré à mille exemplaires seulement, "Radio free Europe/Sitting still " est avant tout une carte de visite que le groupe envoie aux radios, aux promoteurs et aux journaux rock du pays. Les premières réactions ne se font pas attendre: le très influent Robert Christgau défend le single dans les colonnes du Village Voice et Robert Palmer le choisit dans sa liste des dix meilleures chansons de l'année du New York Times. Rome Edimbourg Munich peut commencer à peler la Grosse Pomme. La première mini-tournée des clubs new-yorkais est sold out. Tout ce buzz aboutit à la signature du groupe sur IRS (Bill Berry avait connu Ian Copeland à Macon) le 31 mai 1982. Le 24 août sort le mini-album "Chronic town". Objet bizarre. Sur la pochette, une gargouille. Les paroles, imbitables. Les titres, euh... "Wolves, lower" (des loups, plus bas) ? " 1 000 000 "... de quoi ?? " Gardening at night" (jardiner la nuit) ??? Sommes-nous en présence d'une triste bande d'étudiants arty chiants ou d'une clique de petits malins qui rigolent sous cape ? En tout cas, la guitare tire au clair, le grommellement nasal du chanteur est assez prenant, les mélodies sont magnifiques et les chansons ont toutes un petit air de "reviens-y". Si "Chronic town " passe un peu inaperçu en France, ce n'est pas le cas outre-Atlantique: vingt mille exemplaires vendus, top 5 des college charts et second mini-album 82 du Village Voice. Décollage réussi. REM en profite pour faire sa première grande tournée des clubs américains et ratisse tous les débits de bière de l'Union, croisant des escouades qui ont pour nom Hûsker DU, Minute Men, Replacements. C'est l'éclosion du college rock, toute une vague de groupes issus des milieux estudiantins tournent dans les bars des quartiers universitaires et passent inlassablement sur les ondes des campus. Emmenée par REM, une nouvelle couvée a enfin pris le relais de la génération CBGB.


C'est dans ce paysage réconfortant que sort " Murmur " le 12 avril 1983. Pochette, voix et textes sont aussi mystérieux que sur " Chronic town ". Mais les guitares sont encore plus cristallines, les chansons plus belles et l'atmosphère générale plus envoûtante. Surtout, l'album possède une cohérence impressionnante, chacune de ses chansons tournoyantes semblant faire partie du même bloc, un minerai de l'eau la plus pure. " Murmur ", mot magnifique, est le songe d'une nuit d'été, une ballade somnambulique au clair de lune, un carrousel de chansons parfaites (" Perfect circle "), l'un des deux ou trois classiques des années 8o et le plus beau REM à ce jour. Un coup d'essai insurpassable. Les producteurs Mitch Easter et Don Dixon affirment que le groupe savait parfaitement où il mettait les pieds, maîtrisant totalement les sortilèges du disque. Pourtant, on préfère croire à l'accident sublime, au coup de génie involontaire, à une conjonction cosmique échappant à son contrôle. Cet album de rêve ne passe pas inaperçu: il récolte d'excellentes critiques et monte au sommet des college charts. " Murmur " sort en août en Europe, les critiques anglais et français succombent à leur tour. Le groupe fait une brève apparition parisienne pour un concert unique aux Bains-Douches, un soir de Thanksgiving - et de grève de métro. La petite salle est remplie aux trois quarts d'étudiants américains, quelques critiques rock et une poignée de fans avertis complétant l'assemblée. Renforçant leur image mystérieuse, les quatre de REM jouent dans l'ombre de trois malheureuses loupiotes et sont attifés comme des babas de l'âge de pierre - cheveux longs, chemises amples. Ils ne pipent mot, mais les Rickenhaker pleuvent en cascades lumineuses, faisant signer au maigre public français un long pacte de fidélité avec ce groupe étrange venu d'ailleurs. Loin de roupiller sur ses lauriers tout neufs, la bande à Stipe enchaîne une grande tournée américaine et un deuxième album en 84 : là où " Murmur " formait un bloc non fissible, " Reckoning " est plus hétérogène, collection de rock-songs marquée par un son plus griffu. De la cavalcade (" Harborcoat ") à l'implosion (" Seven Chinese brothers "), de la mélancolie (" South Central ram ") au refrain joyeux (" Pretty persuasion "), REM pianote sur toute la gamme des couleurs chamarrées. Si " Reckoning " n'atteint pas les sommets raréfiés de " Murmur ", il démontre quand même que le groupe ne chantera pas seulement un été. D'ailleurs, l'été venu, il s'autorise son premier break. Stipe réfléchit intensément à l'aspect visuel des choses pendant que les trois autres batifolent dans les clubs d'Athens sous le patronyme de Hindu Love Gods.

A l'orée de 85, le groupe enregistre son troisième album à Londres sous la direction du vétéran Joe Boyd - ancien producteur de Fairport Convention et de Nick Drake - et connaît sa première crise existentielle. La froide grisaille de l'hiver anglais les fait languir de leur chaud cocon sudiste. Leurs problèmes ne s'arrêtent pas au cafard de l'exil : ils n'ont pas assez de chansons prêtes, hésitent sur la direction à prendre, sont contraints de composer sous la pression pour respecter les délais. Cet album vient trop vite; le groupe est fatigué, tendu et, regrettant les jours paresseux et insouciants d'Athens, se demande s'il ne vaudrait pas mieux jeter l'éponge. Il faudra un fin travail psychologique de Jefferson Hok - en l'occurrence, véritable manager - pour ressouder les troupes et mener à terme ce " Fables of the reconstruction ". Stipe admettra plus tard que "Cet album sombre, flou et boueux est une photo parfaite de l'état psychologique du groupe à ce moment". En attendant la sortie prévue en juin, REM entreprend une triomphale tournée des campus qui solidifie son enracinement. C'est alors que je les intercepte à Saint Louis, Missouri: étape décisive où je pige deux ou trois choses sur le groupe. En les voyant fouiller dans les bacs de Streetside Records à la recherche de collectors, signer des poignées de disques, papoter tranquillement avec les étudiants, on saisit concrètement la solidité du lien entre le groupe et la campus nation. Les REM sont des leurs et le succès naissant n'a élevé aucune barrière entre le groupe et son public de base : c'est un arbre fermement arrimé à la terre qui l'a fait pousser. Plus tard dans la soirée, ils saupoudreront leur concert de reprises du Velvet, de Creedence, de Sinatra ou des Beach Boys (une version de Sloop John B à mériter les clés de la ville de Baccara) : un groupe de pop moderne, prince de l'esprit indé, mais aussi dépositaire de l'histoire du rock américain, pleinement affilié à un certain classicisme. Cette aptitude tout terrain sera déterminante pour l'avenir. " Fables " sort finalement en juin 85. Si " Reckoning " avait été enregistré dans une clairière en pleine lumière, celui-ci évoquerait plutôt une grotte humide de sous-bois: une fois de plus, REM prend le contre-pied de son album précédent. Dans un monde où "l'on ne change pas une formule gagnante", cette propension à ne jamais marcher sur ses propres traces enchante. Mais en dépit de réussites telles que " Maps & legends " ou " Wendell Gee ", " Fables " s'avère être incertain, abscons et décevant. Cependant, REM est loin d'être en péril : si la critique renaude, les ventes continuent de suivre une courbe exponentielle.


En 86, fidèle à son principe de remise en question permanente, le groupe veut sortir un disque qui serait aux antipodes du son aqueux de " Fables ". Il fait appel à Don Gehman, l'homme derrière les Blasters et John Mellencamp, réputé pour ses productions sèches et mordantes. Avec lui, les quatre d'Athens prennent une série de petits virages. Buck s'essaye aux riffs du rock traditionnel; Stipe commence à affiner ses textes qui, enfin, deviennent compréhensibles - lui qui privilégiait le son des mots s'intéresse désormais à leur sens. Dans cette optique d'éclaircissement général, Gehman mixe la voix de Stipe en avant au lieu de l'enfouir sous les guitares. Résultat de tous ces petits pas vers l'orthodoxie, "Lifes rich pageant" est le REM le plus proche des canons commerciaux du rock américain de l'époque: il contient des hymnes à reprendre en choeur (" Begin the begin "), des allusions aux préoccupations écologiques de Stipe (les splendides " Cuyahoga " et " Fall on me ") et le son est carréné à l'épreuve des radios américaines. REM n'a pas rejoint le monde de Mellencamp pour autant, de nombreux signes montrant qu'il fait toujours partie du camp indé : l'album contient des instrumentaux bizarroïdes (" Superman "), la pochette et les vidéos, contrôlées par Stipe, sont toujours aussi étranges, mélanges de collages naïfs et de peintures primitivistes. Surtout, le groupe colle à sa base dans ses actes mêmes: Stipe chante avec les Golden Palominos et produit Hugo Largo, Buck s'acoquine avec Keith Streng des Fleshtones pour former les Full Yime Men, un groupe récréatif, et produit le second album des Feelies. Il retourne même bosser à Wuxtry en se faisant payer en disques! Dans leurs interviews, ils ne loupent pas une occasion de dire du bien de leurs collègues les Replacements, les Minutemen ou autres Pylon. A eux seuls, ils dynamisent toute l'Amérique indie. En Europe, REM n'est encore qu'un groupe culte qui doit souquer ferme dans des salles de petit calibre, un statut garantissant au groupe de ne pas choper le melon. Aux Etats-Unis, la croissance se précise: la tournée de l'automne 86 conforte le groupe et " Lifes rich pageant " devient leur premier disque d'or. REM commence à se sentir à l'étroit dans le marché indé.

Sans bruit, sans stratégie commerciale spéciale, en se fiant à ses instincts artistiques, REM est devenu naturellement le plus gros groupe américain de la scène indé. IRS sent qu'il ne manque pas grand-chose pour éclater au niveau supérieur. Au printemps 87 sort " Dead letter office ", compilation de faces B, de chutes et de reprises. A côté de la fascination connue pour le Velvet, on découvre des perles oubliées (" Ages of you ", " Windout ") et des aspects moins évidents du groupe: son humour de fraternity à travers les parodies de heavy-metal (" Burning hell ", " Toys in the attic ") et son sens de la biture (" Kings of the road "). De quoi patienter pendant qu'ils travaillent sur le véritable nouvel album avec Scott Litt aux commandes - ce dernier restera le producteur fétiche, véritable sixième membre. " Document " sort en septembre: dans la lignée orthodoxe de " Lifes rich pageant ", l'album déçoit aux premières écoutes. Pourtant, s'il ne contient pas son " Fall on me ", " Document " apparaît avec le recul plus cohérent et globalement inspiré que son prédécesseur, porteur d'une conscience sociale et politique de plus en plus rageuse. Stipe s'en prend cette fois à l'impérialisme de son pays en Amérique latine (" Wekome to the occupation ") ou au retour rance du conservatisme des années 50 (" Exhuming McCarthy "). " Document " est surtout l'album qui contient " The One I love ", premier hit-single. De l'importance du mot "love" dans un titre de chanson. Pourtant, le deuxième couplet de ce que les masses ont pris pour une chanson d'amour est du genre refroidissant: "This song goes to the one I left behind, a simple prop to occupy my time" (Cette chanson est dédiée à celui (celle) que je viens de larguer, un simple outil pour me distraire). Ce qui n'empêche pas le disque de cartonner et REM de conquérir le public rock au sens large. "Document" est leur premier album certifié platine. Le groupe fait la couve de Rolling Stone avec ce titre: "America's best rock'n'roll band". Le malentendu de "The One I love" est symptomatique du changement de braquet du groupe: il a grimpé les échelons de la gloire presque à son corps défendant, sans le désirer à tout prix, sans compromis flagrant. A posteriori, on peut toujours dire que le son propre et costaud de "Document" caressait le mainstream dans le sens du poil. Mais le succès d'un hit-single ne se décrète pas à l'avance : on a plutôt le sentiment que le groupe a suivi une progression constante, chaque album, chaque concert rameutant quelques fidèles de plus. Ce n'est pas REM qui a baissé sa garde pour le grand public, mais le grand public qui est progressivement allé à REM. Pourtant, signe des temps, Stipe fait la tournée dans un bus privé, séparé du reste de la troupe. En fait, il ne s'agit pas d'un caprice de star, mais d'une décision logique permise par les nouveaux moyens matériels du groupe. Buck, Mills et Berry sont des rock'n'rollers, des types normalement extravertis qui aiment faire la fête, boire des bières et écouter des disques à fond. Stipe n'a pas tout à fait le même rythme biologique: il lit beaucoup, réfléchit, écrit sans arrêt et préfère se reposer au calme. Pierrot lunaire, poète de l'envergure de Dylan ? Ou alors étudiant prétentieux, poseur invétéré et narcissique ? Les anciens d'Athens qui se souviennent de ses débuts de showman fêtard brûlant les clubs ne croient pas une seconde à son image de génie envapé. Quand on le presse sur ces questions, Stipe la joue sibyllin et prétend qu'il ne comprend pas toujours lui-même ce qu'il crée. En fait, c'est un mélange d'ingénuité et de roublardise. Il contrôle parfaitement l'image du groupe et utilise volontairement tous les ressorts de l'ambiguïté. Il a retenu la leçon dylanienne et préfère laisser le public se dépêtrer avec ses textes et ses pochettes cryptiques plutôt que de lui donner un mode d'emploi. C'est cette somme de blancs non remplis, cette part de secret qui préserve l'intérêt que l'on porte à Stipe et à son groupe. Un manipulateur peut-être, mais un manipulateur doué. On peut ne rien comprendre à ce qu'il chante tout en étant pris par le timbre de sa voix. On peut admettre que les pochettes de REM ne ressemblent à aucune autre même si elles ne veulent rien dire. Si l'art ne doit pas toujours s'adresser à l'intelligence, il doit obligatoirement parler aux sens. Tant que Stipe entretiendra l'ambiguïté sur l'image du groupe ou sur lui-même (génie ou charlatan), on s'intéressera à lui. Et tant qu'il sortira des bons disques, on l'excusera de nous embobiner.

L'année 88 marque un nouveau tournant: le contrat IRS touchant à sa fin, Roubles Escudos Marks signe chez Warner, multinationale géante de l'industrie du loisir. Le geste est hautement symbolique et pourtant, REM a toujours un pied fermement posé du "bon côté". En témoignent leurs activités stakhanovistes : Mills et Berry produisent des musiciens obscurs d'Athens ; Stipe travaille à un album solo, chante avec les Indigo Girls, Natalie Merchant et les Roches, découvre et parraine les Chickasaw Mud Puppies ou Vic Chestnutt; Buck produit une foule de groupes, joue sur les disques de Bruce Joyner et Robyn Hitchcock... Le portefeuille chez Warner, mais le coeur au garage. Quand on les rencontre dans leur fief à la veille de la sortie de " Green ", on se rend compte à quel point un groupe sur le point de devenir énorme peut garder la tête froide et toute sa crédibilité. Le secret s'appelle Athens. Loin des turbulences new-yorkaises ou de l'autosatisfaction bronzée de Los Angeles, à des milliers d'encablures du monde urbain moderne, cette petite ville provinciale et tranquille les a préservés. Ils sont peut-être riches, mais portent les mêmes jeans troués, roulent dans une vieille Volvo des années 50 et tout le monde leur dit bonjour dans la rue. Stipe, Buck, Mills et Berry sont toujours proches de leur électorat parce qu'ils vivent dans leur circonscription et restent, comme dans le cinéma de Hawks, à hauteur d'homme. " Green " sort le 8 novembre 1988, jour de l'élection de Bush. Pour sa part, Stipe a activement soutenu le perdant, Dukakis. Le groupe s'implique de plus en plus au niveau de la politique locale, finançant des projets de restauration de vieux quartiers d'Athens promis aux bulldozers. Cet activisme explique peut-être que " Green " est moins politique que les précédents. Stipe se demande d'ailleurs dès le premier morceau "si le groupe devrait parler de politique ou de la pluie et du beau temps". Musicalement, l'album est assez classique, se partageant entre hymnes musclés (" Pop song 89 ", " Orange crush ") et ballades folky (" You are the everything ", " Hairshirt ", " California "), sans compter une novelty (" Stand ") et une chanson sans titre - par ailleurs l'un des sommets du disque. Après la percée de " Document " et le transfert sur Warner, on espérait un disque monumental, un chef-d'oeuvre novateur et inspiré. En regard de cette attente, " Green " est plutôt décevant, trop conforme aux canons du classic rock. Même s'il recèle des éclairs de beauté (un poignant " World leader pretend " dans lequel Stipe déboulonne ironiquement sa statue), on est loin de la grâce somnambulique de " Murmur ". REM part en tournée mondiale. Ils écument les stades du Japon, de l'Océanie, des Etats-Unis et de l'Europe. " Murmur " devient disque d'or et le reste du monde est enfin conquis - sauf la France, pays singulier où les quatre d'Athens sont toujours réservés aux spécialistes. Cette méga tournée les épuise et aura pour conséquence de les éloigner des feux de la scène pendant les cinq années qui suivent. On craint également que REM ne cède aux sirènes du confort et se repose sur son matelas de dollars pour quelques longs mois. On se trompe.

Avec un album multiplatiné dans tout l'Occident, une tournée harassante, un contrat juteux qui permet de voir venir, n'importe quel groupe partirait à la pêche pendant deux ou trois ans. REM n'est pas n'importe quel groupe. Dès le printemps 90, ils décident d'explorer la veine acoustique de " Green ", changent d'instrument pour briser la routine: Berry prend la basse, Buck se met à la mandoline, Mills s'installe aux claviers. Le groupe projette aussi d'utiliser une section de cordes. " Green " bastonnait, le disque suivant sera donc acoustique et orchestral. " Out of time " sort au printemps 91. A la place de la traditionnelle tournée, le groupe choisit de faire quelques apparitions médiatiques stratégiques: Saturday Night Live, MTV Unplugged... " Out of time " est l'album pastoral de REM, une brochette de folk-songs automnales laissant apparaître un groupe serein, dominé par l'apaisement mais aussi la mélancolie que peut procurer le succès. Un disque à tonalité country drivé par le plus improbable des singles, "Losing my religion". Les ventes de REM ont progressé à chaque disque depuis "Murmur": " Out of time " devient donc logiquement le plus gros score du groupe, y compris au pays de Bruel. REM n'est plus seulement connu du lecteur moyen de Rolling Stone, mais aussi de la concierge parisienne ou du chauffeur de taxi berlinois. Le groupe devient un household name (un nom familier des foyers) par la grâce d'une chanson qui n'a pourtant rien d'un single putassier : le groupe continue son inexorable conquête des marchés mondiaux en ne faisant rien dans ce sens. C'en devient proprement insolent. En septembre, ils reçoivent six MTV awards que Stipe vient chercher sur scène en arborant chaque fois un T-shirt à slogan différent (le show est télévisé dans une grande partie du monde) : Rainforest (les pluies acides), Love knows no colors (l'amour n'a pas de frontière), Wear a condom (n'oubliez pas votre capote), Choîce (avortement libre et gratuit), Alternative energy now (non au nucléaire), Right to vote (utiliser le droit de vote), Hand-gun control (réglementation des armes à feu). Un programme politique complet passé en contrebande pendant que Stipe remercie l'hôte avec les banalités d'usage. Cette leçon d'humour et de communication n'est pas du goût de tout le monde. Certains brocardent Stipe pour son simplisme et sa démagogie. On reproche à Stipe l'hypocrisie qui consiste à brandir des slogans écologiques de la main gauche pendant que la main droite signe chez Warner, un géant de l'industrie qui, ontologiquement, ne peut que nuire à l'écologie. Pendant que Stipe se frotte aux aléas de la difficile cohabitation entre le rock et la conscience sociale, Buck ouvre un studio d'enregistrement et y invite Billy Bragg; avec Mills et Berry, ils jouent et produisent un nouvel album des Troggs oubliés, Athens/Andover. Bien que multimillionnaires, les quatre de REM demeurent d'indécrottables fans.

En 92, à peine un an après " Out of time ", ils enregistrent un nouveau disque dans différentes villes des Etats-Unis, une stratégie qui leur permet surtout de faire du tourisme. Ils peuvent ainsi prendre leur temps et flâner de La Nouvelle-Orléans à Woodstock, de Miami à Seattle. La scène grunge est alors au pinacle, Nirvana règne: s'entêtant à ne rien faire comme tout le monde, REM enregistre un album de chambre, antithèse de la vague bruitiste qui submerge le rock. Inspiré de bout en bout, " Automatic for the people " a la beauté aveuglante d'un soleil noir, la triste somptuosité d'une élégie. Une oeuvre sombre, hantée par le sida, mais qui n'oublie pas les lueurs d'espoir (" Find the river "), spleen profond transcendé par sa richesse mélodique. Dix ans après " Murmur ", au sommet de sa gloire et de sa fortune, à un stade où l'on n'attend généralement plus rien d'un groupe de rock, REM est à nouveau touché par la grâce. Et si après les tournées géantes, après tant d'années et de gloire amassée, après une surdose d'exposition médiatique frisant la grillade intégrale, si après tout ce long chemin, le fan de base éprouve encore du désir pour REM, c'est que ce groupe peut encore imaginer des " Losing my religion " ou des " Automatic for the people ", qu'il a su allier excellence, crédibilité et longévité. Les Beatles ou les Smiths présentent aussi des discographies immaculées, mais leur existence (sept et cinq ans) fut courte. Les Stones ou Pink Floyd durent, mais on sait ce qu'il en est de leurs disques et de leur intégrité morale. En dix années et neuf albums, REM a duré, grandi sans grande crise de croissance, construit une oeuvre dépourvue d'échec majeur; plus important, le groupe reste en phase avec sa base, toujours digne dans le succès, miraculeusement préservé des pièges de l'abondance.


Mais REM ne s'arrete pas la et en 1994, Monster impose un changement de son radical, beaucoup plus rock, ou Peter Buck sature ses guitares ! Pendant le Monster Tour qui suivra, le batteur est victime d'une rupture d'anevrisme et manque d'y rester. Le groupe enregistrera neanmoins New Adventures In Hi-Fi mais Bill Berry, lasse du rock'n'roll circus, finit par jeter l'eponge et quitter ses amis de quinze ans. REM va alors traverser une periode de doutes et decide de tenter le tout pour le tout en la jouant " conceptuel " : le groupe devient un trio et Up sonne comme un disque passionnant et inventif, sans batterie et avec des claviers !
Mais les ventes n'atteindront plus le niveau hallucinant de Out Of Time et en 2001, REM sort Reveal, son album le plus fade, marque par le retour des guitares. Bill Berry n'a toujours pas ete remplace (c'est Joey Waronker, le batteur de Beck qui assure la rythmique sur scene) et vingt ans de carriere et treize albums plus tard, il ne reste plus qu'a esperer que REM n'a pas dit son dernier mot.



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