"Tout
le monde le fait, alors pourquoi pas nous ?" C'est la phrase
qui annonçait le premier album des Cranberries. Une autre manière
de dire : "Nous sommes des gens comme les autres. Nous venons
de familles modestes, nous n'avons pas d'argent. Ce premier album
est maladroit, plein d'imperfections, mais c'est nous." En effet,
les Cranberries sont des gens ordinaires, mais sincères. L'histoire
des Cranberries est étroitement liée à leur terroir
d'origine, l'Irlande. C'est cette terre irlandaise qui va leur donner
leur force et leur spécificité. La légendaire
ténacité irlandaise qui leur permettra de persévérer,
là où tant d'autres se sont découragés
et auront cédé à la facilité d'une vie
ordinaire. C'est là aussi que Dolores tire les inflexions si
particulières de son chant, charriant du même coup la
colère et l'émotion d'un peuple oppressé depuis
des siècles. Malgré la consonance espagnole de son prénom,
Dolores est bel et bien irlandaise. Dolores Mary Eileen O'Riordan
a grandi dans un modeste cottage de Ballybricken, à une dizaine
de kilomètres de Limerick, tout au plus chef-lieu de canton
mais une mégapole lorsque l'on vient de Ballybricken. Le père
de Dolores est invalide depuis un accident du travail et sa mère,
traiteur, était donc seule à travailler. La dernière
d'une famille de sept enfants, elle ne bénificiera cependant
pas des acquis de ses ainés comme lorsqu'on est le petit dernier
et chouchou de sa maman. En effet, la mère de Dolores a toujours
eu une prédilection pour les garçons, les filles étant
soumises à une éducation plus stricte, avec par-dessus
le marché les grands frères pour veiller sur la bonne
moralité de leur petite soeur. "C'était dur d'être
une fille, ma mère avait peur que je me retrouve enceinte,
elle était donc très stricte. J'avais le droit d'aller
en boîte deux fois par an, et encore, avec mes frères
pour me surveiller. Si je dansais avec un gars, ils se levaient et
me bombardaient de questions. "Où sont ses mains ? Qui
c'est ce type ? Qu 'est ce qu'il fait ? D'où il sort ?"
Ils m'ont probablement sauvée de beaucoup de garçons
!"
Dolores
chantait à l'église (la seule distraction
décente pour une fille, à Ballybricken)
et jouait aussi de l'orgue. Elle jouait même Nick
Kershaw, pour embêter sa mère et s'endormait
fréquemment pendant l'office. "Je ne suis
pas allée à l'église depuis l'âge
de dix-huit ans. Quand j'étais adolescente, j'étais
du style à m'endormir à l'église,
mais quand c'était le moment des cantiques, c'était
du style : Ouais ! En fait, j'adorais les chants grégoriens.
Ce sont de superbes mélodies. C'est vraiment de
là que vient le rock'n'roll !". Quelqu'un
aurait dû parler de Chuck Berry à Dolores
! Enfin, gageons que c'est une boutade. Du reste, la mère
de Dolores adorait Elvis Presley. Mais revenons à
notre génèse des Cranberries. Les
frères Hogan viennent de Moycross, non loin de
Limerick (tout au plus chef-lieu de canton etc.). Bien
qu'étant de placides adolescents, Mike et Noel
.Hogan jouaient dans un groupe de rock en compagnie de
Fergal (et non pas Feargal comme souvent imprimé)
le batteur du groupe. Le quatrième et dernier larron,
un certain Niall était au chant. Le groupe s'appelait
"The Crannberry Saw Us" et était spécialisé
dans la chanson drôle. Les chansons, écrites
par NiaIl, bien entendu, avaient des titres des plus étranges.
tels que : "My Granny Drowned In A Fountain At Lourdes
", (Ma grand-mère s'est noyée dans
une fontaine à Lourdes), " Throw Me Down A
Big Stairs " (Précipite-moi du haut des grands
escaliers) ou encore " Good Morning God " (Bonjour
Seigneur). NiaIl a pourtant décidé de quitter
son groupe pour un autre, tout en étant assez prévenant
pour se trouver un successeur, ou plutôt, une successeuse.
Dolores était une connaissance de sa grande soeur
et ainsi elle eu vent de la place vacante. A l'époque,
elle était vendeuse à mi-temps ; Fergal
était coiffeur et les frères Hogan faisaient
des petits boulots. Dolores a sauté sur l'occasion,
car ça faisait quatre ans qu'elle recherchait un
groupe auquel se joindre, après avoir essayé
plusieurs groupes de reprises sans avoir trouvé
chaussure à son pied. "De bons musiciens mais
sans créativité. Tout ce qui les intéressait
c'était de jouer dans des pubs pour gagner 60 livres
dans la soirée" se souvient-elle aujourd'hui.
"Dolores est venue avec son petit synthé,
elle avait les cheveux très courts et était
toute petite" se rappelle Noël. "Leurs
compos à ce moment-là n 'étaient
pas à mon goût, mais j'avais perçu
leur potentiel dans leur jeu. C 'était facile pour
moi. parce que je savais que dès que j'aurais ouvert
la bouche et commencé à chanter ils seraient
impressionnés " raconte pour sa part Dolores.
Cette
"forte impression" marque donc le début
des Cranberries, le "Saw Us" étant rapidement
passé à la trappe. Ce jour-là Dolores
est rentrée chez elle avec une cassette contenant
plusieurs compositions de Noèl Hogan, dont "Linger
" sur lesquelles elle va travailler. Une semaine
plus tard, elle retourne voir son groupe avec les paroles
sur la mélodie " Linger ", à la
grande surprise du groupe, ravi cependant d'avoir trouvé
une chanteuse totalement dévouée à
la musique. "Je
suis rentré à la maison et j'ai écrit
les paroles. C'était four pour les garçons,
parce qu'ils étaient habitués à leurs
trucs de mâles, saigner sur la moquette ou se noyer
dans une fontaine à Lourdes. Quand j'ai essayer
de chanter, j'étais très génée,
pensant peut-être que ce serait trop sentimental
à leur goût, trop féminin. Et puis
je me suis dit : " qu'est ce que ça peut foutre
? " Alors j'ai commencé à chanter et
on ne pouvait pas entendre les paroles parce ce qu'on
avait un ampli naze et que la guitare de Noël sortait
aussi par là. Il avait la bonne sortie et moi la
mauvaise. Le bassiste avait un ampli au son crade et le
batteur se débrouillait comme il pouvait. J'étais
dans le coin en train de dire : " Je sais chanter
je le jure, mais personne ne pouvait m'entendre ".
Ca a continué comme ça un bon moment, à
me coller les oreilles contre l'ampli pour essayer de
m'entendre ".
Comme
tout groupe débutant, les Cranberries se sont produits
dans des lieux peu reluisants, comme la cave d'un hôtel
de Limerick (depuis démoli) et un ou deux pubs
à Dublin ou Cork. "Il y avait peut-être
soixante personnes dans une toute petite pièce
sombre, Dolores était sur le côté,
Noël, Mike et moi étions tête baissée,
du style : allez, finissons-en !" C'est à
cette époque qu'ils ont rencontré Pearse
Gilmore, un agent local qui avait fondé son propre
petit label et possédait un studio d'enregistrement,
Xeric, Mais ne croyez pas que ce fut là la fin
des galères pour les Cranberries et le début
d'une implacable ascension vers la célébrité,
loin s'en faut. Gilmore devint leur manager et les véritables
embrouilles commencèrent. Ils
enregistrèrent une cassette contenant trois titres,
"Nothing Left At All", qui fut mise en vente
dans les magasins locaux. Score : trois cent exemplaires
(le morceau-titre réapparaîtrait un an plus
tard sur la face B de leur véritable premier single).
Noël a laissé tomber son job de caissier et
s'est mis en tête d'envoyer des démos un
peu partout. La démo est arrivé chez Rough
Trade, dans les mains de Sarah Bolton. Elle écrivit
une lettre d'encouragement aux Cranberries, bien que leur
musique ne lui plaise pas. Elle les invita tout de même
à venir jouer à Londres, ce qu'ils ne firent
pas car ils n'en avaient pas les moyens. Geoff Travis,
aujourd'hui manager des Cranberries travaillait chez Rough
Trade à l'époque et n'avait jamais entendu
parler d'eux. C'est grâce à un correspondant
local de Rough Trade à Dublin que Travis les découvrira.
" Je ne les aime pas mais à toi ça
te plaira peut-être " dixit l'homme à
Travis. Celui-ci
écoute la cassette en compagnie de sa collègue
Jeannette Lee et tous deux trouvent la démo géniale,
au point que Jeannette se déplace jusqu'à
Cork, où le groupe se produit un soir. Dolores
chantait alors dos au public. Le bouche à oreille
a alors bien fonctionné au sein de l'industrie
musicale car Warner, Columbia, Virgin, Island et beaucoup
d'autres se sont tout à coup intéressés
aux Cranberies. Le groupe assure avoir eu la visite de
32 envoyés des maisons de disques lors d'un concert
d'un soir à Limerick ! Leur futur attaché
de presse John Best, en a compté pour sa part un
ou deux. Best était quoi qu'il en soit intéressé
par leur démo et souhaitait ardemment collaborer
avec eux. Il travaillait à l'époque pour
un label indépendant qui l'envoya voir les Cranberries
à Cork, lors d'un concert au bar de l'université,
devant au plus 20 personnes. " Je suis allé
les chercher après le concert et nous avons discuté
au bord de la rivière. Je leur ai dit : "
Vous n'avez aucune idée de ce que vous êtes
capables de faire ". Ca a l'air très à
l'eau de rose, je sais. Et pour être honnête,
en regardant les photos de mariage de Dolorès récemment,
je n'en avais aucune idée non plus.
Pendant
ce temps Gilmore manageait les Cranberries en prenant
à peu près tout sous sa responsabilité
: enregistrement, photographies, contrôle du stock...
Travis essayait à cette époque de rencontrer
Gilmore pour lui proposer de signer le groupe, mais ce
n'était pas chose facile : " Pearse ne prenait
pas mes coups de fils et se refusait à fixer tout
rendez-vous d'affaires, ce qui est plutôt inhabituel
pour un manager dont le groupe n'est pas encore signé.
C'était vraiment très étrange...
" Etrange
aussi pour Dolores, qui se rendit seule chez Rough Trade,
à Londres. "Elle avait vraiment des doutes
sur ce qu'ils s'apprêtaient à faire",
constate Travis. Et ce qu'ils s'apprêtaient à
faire, justement. c'était de signer chez Island
(un contrat pour six albums) plutôt que chez Rough
Trade, après un vote démocratique, au cours
duquel Dolores fut certainement la seule a voter contre
leur manager. Leur manager Gilmore obtint d'Island une
avance conséquente pour enregistrer leur premier
album à Limerick, dans les studios Xeric. Les Cranberries
alors, inexpérimentés en affaires ne virent
pas un kopek de la somme. "Uncertain" leur premier
EP sur Xerie vit le jour en octobre 1991, tandis que John
Best sétait livré à un travail conséquent,
mais maladroit. quant à la promotion des Cranberries.
" J'ai fait quelque chose que je ferai plus jamais,
dans mon gauche enthousiasme pour le groupe, qui était
d'envoyer la démo à la presse musicale.
" Grave
erreur, en effet, car la démo était bien
meilleure que la petite production de Gilmore. "Uncertain"
sonnait de façon faiblarde comparé à
cette démo, qui contenait déjà "
Linger ", " Dreams ", " Nothing Left
At All ". .. Or les critiques qui avaient adoré
la démo, les avaient encensés sans qu'il
y ait eu le moindre contrat signé (Melody Maker
et NME dans la foulée), furent cruellement déçus
par ce premier EP. Aux louanges ont rapidement succédé
les sarcasmes. Et dieu sait que les Anglais ont le verbe
tranchant. Après quoi, le groupe s'est attelé
à l'enregistrement de leur premier album avec Gilmore
à la production. Après trois semaines de
studio et trois titres enregistrés, les Cranberries
virent enfin leur manager malhonnête et se retrouvent
du même coup dans t'impasse. C'est sous l'impulsion
de John Best (cette fois bien inspiré) qu'ils se
remettent en contact avec Geoff Travis, pour lui tenir
à peu près ce langage : "Au secours
!" Depuis, Travis et Lee sont les managers des Cranberries.
Ils recommencent donc l'album aux studios de Windmill
à Dublin, (luxueux, comparés à la
poubelle aménagée qu'étaient les
studios Xeric) avec Stephen Street à la production,
l'homme qui a mixé et co-produit les trois derniers
albums des Smiths. Un vrai bonheur pour les aficionados
des Smiths que sont Fergal et les frères Hogan.
Peut-être est-ce cela qui lui a permis de refaire
des Cranberries un groupe soudé, chose disparue
sous l'égide de Gilmore.
"Everybody's
Doing It, So Why Can't We ?" dont la signification
était à prendre au pied de la lettre, paraît
en mars 1993 (bien que prévu à l'origine
pour octobre 1992) : c'est bancal, maladroit mais c'est
nous. " Tout le monde le fait, alors pourquoi pas
eux ? Mais le cauchemar n'est pas encore terminé.
L'album ne fit pas figure d'évènement car
l'intérêt de la presse s'était évaporé,
et sans le support de la presse, le soutien de la maison
de disque aussi. Le phénomène qui va alors
se produire autour des Cranberries est typiquement ce
que les Anglais détestent : un groupe anglais qui
a du succès aux Etats-Unis avant d'en avoir chez
eux ! Shocking, en vérité, mais l'impact
sera si fort que les Anglais ne pourront pas ignorer le
phénomène plus longtemps. Alors
qu'en Angleterre les singles " Linger " et "
Dreams " font un fiasco, les Cranberries partent
en tournée avec Belly en mars 1993, puis avec Hot
House Flowers, période durant laquelle Dolores
est tentée d'abandonner. "Tout le monde nous
tournai le dos : l'Angleterre, l'Irlande, tout le monde.
Nous sommes donc allés en Europe, en première
partie des Hot House Flowers et les allemands disaient
: " Wo ist der Hothaus Flowerz ? ". et je me
disais : " Que vais-je faire ? Tout laisser tomber
? Rentrer à la maison de mes parents, me mettre
à la retraite, me marier, avoir dix gosses, quoi
?" Non, pas ça, Dolores ! Pas si près
du but ! Car le 10 juin, les Cranberries arrivent aux
U.S.A. pour une tournée en première partie
de The The. A partir de là, les choses vont (enfin
!) se passer très vite. "Everybody Else etc."
vient de sortir aux EtatsUnis et les jeunes Américains
vont s'y intéresser sans avoir aucune idée
préconçue sur le groupe. A l'appui de ce
recueil de douze titres autobiographiques, les Cranberries
deviennent le groupe alternatif anglais de référence,
anglais, pas irlandais ! Les radios étudiantes
les soutiennent, (comme ce fut le cas plus tard pour Radiohead)
et MTV va diffuser leur clip. Leurs concerts affichent
complet dans des lieux célèbres tels que
The Grand à New York ou The Troubadour à
Los Angeles. La vidéo de " Linger " tournée
aux Etats-Unis par le réalisateur de " Losing
My Religion " donnera au groupe l'occasion de rencontrer
Michael Stipe (" Nice Gay", selon les membres
du groupe). En septembre, le groupe tourne avec Suede
sympathisant avec Brett et Bernard Butler, qui finira
la tournée dans le bus des Cranberries. Ensuite
ce fut la tournée avec Duran Duran (rescapés
new wave des années quatre-vingts) dont le manager
n'est autre que Don Burton (Don Juan ? ) dont Dolores
va tomber amoureuse (elle l'épousera en juillet
1994). Après ce premier album aux chatoyantes couleurs
(or, platine...) les Cranberries enchaînent avec
"No Need To Argue" qui sera un raz de marée
mondial. Il contient le légendaire hit "Zombie",
imparable bien que largement controversé car sorti
alors que la guerre civile avait enfin céssé.
Dolores est accusée de relancer le débat
et de remettre en question la légitimité
de ce cessez-le-feu. A ce sujet, elle se défend.
" Contrairement à ce que beaucoup de gens
croient, et les gens ne croient que ce qu'ils veulent
voir, c'était au sujet d'un enfant qui a perdu
la vie ? Je l'ai écrite après qu'un enfant
ait été tué à Warrington.
Nous étions en tournée en Angleterre et
il y avait de l'hostilité dans l'air. J'ai eu envie
de me justifier d'être irlandaise. Je ne cautionne
pas les bombes, je n'ai rien à voir avec tout ça
et il n'y a aucune justification valable pour planter
des bombes là où il y a des gens innocents.
Je pensais : " Mon Dieu, et cette pauvre mère.
" Je n'arrivais pas à reprendre le dessus,
rien ne me consolait. Ma vie était si heureuse
mais qu'est ce que cette pauvre femme devait traverser.
J'ai pleuré pour elle de voir son enfant mourir
sans raison. Ce n'était pas un débat politique,
je ne prenais parti pour aucun des deux côtés.
"
"
Zombie" a fait l'objet de plusieurs reprises, toutes
plus surprenantes les unes que les autres. Une version
dance, pour commencer, au grand dam de Dolores ("Quand
je l'ai entendue, j'en étais malade. Mais c'est
la nature du business, je suppose") et une version
hard, par Faith No More. "Notre version de Zombie
à été motivée par la haine",
explique Roddy Bottum de FNM. "Ce sont ces ridicules
inflexions de voix "Zom-beay-Zom-beay", nous
nous sommes demandés ce que ça pourrait
donner si le gars de Metallica l'avait fait : Zom-burrh-Zom-burrh".
Hum, un rien rustres, ces métalleux de Faith No
More. "No Need To Argue" n'est pas cependant
composé que de chants "révolutionnaires",
mais bien de compos aux textes introspectifs, tels que
" Ode To My Family " qui traite du fait "d'avoir
subitement du succès et de regarder en arrière
en se demandant où mon enfance s'en est allée".
Alors que Dolores sort à peine d'une relation de
nature violente avec son ex-petit ami, l'album est dédié
à son mari. "A mon mari, amant, meilleur ami
et soutien". Faut-il voir là un lien direct
avec le premier titre de l'album suivant "To The
Faithful Departed", qui commence dans un lit ? Sans
doute, lorsqu'on connaît le goût de Dolores
pour les textes à contenu autobiographique. Sans
doute cela représente-t-il pour elle la meilleure
revanche sur la triste vie que lui a fait mener son précédent
concubin, qui doit se sentir aujourd'hui un rebut inutile
et éprouver une cuisante défaite face à
la réussite de sa captive triomphante. "Je
voulais partir, mais ça a pris des années.
J'étais complètentent sous contrôle.
Ma mère a été très inquiète
quand je lui ai dit ce qui c'étais passé
(des choses dures, un comportement de psychopathe). Elle
était choquée, mais je voulais que personne
ne le sache à ce moment là. " Il est
difficile d'imaginer de telles choses dans la vie de Dolores
O'Riordan, auteur, compositeur, interprète, performer
et millionnaire, avec toute la force de caractère
et la personnalité que ce genre de fonctions implique.
"J'ai eu la malchance de tomber dans les mains de
la mauvaise personne. Plus le groupe évoluait,
plus j'avais de succès, plus c'est devenu difficile,
plus il était saoûl et agressif. C'était
complètement stupide d'avoir à supporter
toute cette merde, de prendre des coups dans les dents,
avoir 1'impression d'avoir à veiller sur quelqu'un
et de supporter toutes ces choses de lui, de sa vie. Vers
la fin, je n'avais plus aucune confiance. J'avais un profond
sentiment d'insécurité. Je ne sortais avec
personne, je ne pouvais pas sortir avec des filles, ça
ne m'était pas vraiment permis, et si ça
l'était, je devais être rentrée à
une certaine heure. C'est terrible, parce que lorsque
vous avez peur de quelqu'un pas seulement physiquement
mais mentalement, c'est ça, le contrôle."
Il
est utile de souligner que Dolores a toujours eu suffisamment
de personnalité pour porter son groupe au zénith
malgré cela, et suffisamment de courage pour se
sortir de cette histoire. "Peut-être était-ce
une bonne chose, parce que traverser toute cette merde
m'a vraiment endurcie. Cette relation qui a duré
trois ans est la chose la plus dure que j'aie jamais faite
de ma vie ; les Cranberries, ce n 'est rien en comparaison.
" Cela donne une idée, en effet, de la dureté
de la chose. Peut-être que c'est ce qui a joué
aussi dans les prises de positions très radicales
de Dolores, dans son discours sur la peine de mort, grand
amour des enfants alors qu'elle semble bien décidée
à n'en avoir aucun, dans sa vision assez particulière
de l'avortement (" Mais je ne suis pas en mesure
de juger les autres femmes ")dans son dégoût
du personnage de John Lennon sur la fin, dans son comportement
impulsif et capricieux avec les journalistes (peut-être
un juste retour du comportement que les journalistes ont
eu ou ont encore à son égard) et dans la
tenue délicieusement provocatrice qu'elle a arborée,
lors de son mariage avec un homme tout ce qu'il y a de
plus délicat. Ce jour de juillet 1994, Dolores
affiche une tenue provocatrice pour une mariée
: sous son voile immaculé, on peut voir un soutien-gorge
blanc, un caleçon à dentelle de la même
couleur et de grandes bottes à lacets remonter
sur ses jambes. Dolores se souvient de son mariage : "Je
suis vraiment triste que ce soit terminé. Je voulais
que ce jour dure toujours. Sur le moment, tu es nerveux,
puis quand tu regardes les photos plus tard, tu es là
: Ooh, regardes ! Nous avons prévu de renouveler
nos voeux pour notre cinquième anniversaire. Quand
tu aimes vraiment quelqu'un, il n'y a rien d'aussi bon
que de le proclamer à nouveau. " Bien
fleur bleue, la Dolores amoureuse, qui fait construire
avec son mari une grande maison dans une des dernières
îles irlandaises où l'on parle uniquement
gaélique. Bien plus que celle qui est sans cesse
mise en avant dans le groupe, principal auteur et compositeur
des Cranberries et qui a des vues très arrêtées
sur la façon de traiter ces criminels. Au sujet
de " The Icicle Melts ", compo écrite
après la mort de Jamie Bulger, petit enfant lui-même
assassiné par deux autres enfants, Dolores a une
étrange façon de traiter le problème,
pour ne pas dire simpliste. "Si ces deux gosses avaient
su que la punition pour ce qu 'ils ont fait était
la pendaison, je ne pense pas qu 'ils l'auraient fait.
Je pense que la pendaison devrait être rétablie
en cas de meurtre. Je sais que ça fait nul de dire
ça, mais je le pense. " En effet, Dolores
a toujours eu le mérite de dire ce qu'elle pensait.
"Je trouve que les punitions sont trop douces. Un
de mes frères est gardien de prison. Je connais,
personnellement, des gens qui ont dit "Je suis sorti
de prison hier et je m'ennuie, je n 'ai pas d'argent,
je vais voler une voiture et recommencer comme avant.
" Il y en a qui aiment ça. Qu'est-il arrivé
aux temps où on les jetait dans une cellule sans
les nourrir et en les battant tous les jours ? Au moins,
qu'on les fasse saigner un peu. "Elle plaisante,
là, ou quoi ! Allez, disons que c'est une femme
à poigne, et qu'après ce qu'elle a vécu,
elle ne s'en laissera plus jamais compter: "il faut
être fort. Si tu gardes ça à l'esprit,
tout est plus facile. Et ne jamais penser que tu as abîmé
ce que tu as fait. Les Cranberries sont nos vies, celles
de personne d'autre. Je veux pouvoir regarder en arrière
et me dire : OK, j'ai fait ceci, ceci et cela, je suis
heureuse, j'ai fait ce que je voulais faire. Rien ni personne
ne pourra rien changer à cela. "
Fort
de la notoriété du groupe aux USA, Island
ressort le disque en Angleterre en mars 1994. Cette fois-ci,
l'album devient rapidement N°1 des Charts et est certifié
disque de platine. Les récompenses pleuvent d'un
peu partout, Billboard Awards, Music WeekAwards à
Londres, lRMA Awards à Dublin. Pourtant le groupe
ne se repose pas sur ses lauriers et en février
1994, les Cranberries peaufinent de nouveaux morceaux,
écrits pour la plupart lors de leurs tournées
américaines en 1993. L'album est prêt mais
"No Need To Argue" ne sort qu'en octobre 1994.
Il entre d'abord au Top 10 aux USA puis devient N°1
dans de nombreux pays d'Europe. 5 millions d'exemplaires
sont vendus en l'espace de 6 mois, le single "Zombie"
aidant d'autant plus. Les récompenses pleuvent
à nouveau et les tickets de concert s'arrachent
pour des salles de plus de 10.000 personnes. Le reste
est évidemment plus connu de tous et d'autres albums
suivront, tout d'abord "To The Faithfull Departed"
en 1996, suivi de tournées trop intensives qui
conduiront le groupe à la dépression, entraînant
l'annulation de nombreuses dates de concerts fin 1996.
Leur retour se fait 3 ans plus tard en 1999 avec l'album
"Bury The Hatchet". L'album est un succès,
les tournées aussi. Les Cranberries remplissent
maintenant les très grosses salles de 20.000 personnes.
Enfin, dernière actualité en date, la sortie
en octobre 2001 du dernier opus intitulé "Wake
Up And Smell The Coffee", qui semble recevoir un
assez bon accueil auprès du public, avec à
la clé une tournée mondiale qui passera
bien sûr par la France ce printemps 2002. Affaire
à suivre...