Que
n'a t'on pas dit sur lui et Nirvana... Une encyclopédie
seule ne suffirait pas, sans doute, à accuiellir
les légion d'articles dont Kurt Cobain a fait l'objet.
De même, Internet. aspirant au monopole de l'information
instantanée, serait bien en peine de mesurer l'espoir
et l'émotion qu'il a engendrés, aux quatre
coins de la planète. De quoi être gavé
pour le restant de ses jours ! Cependant il est bien difficile
de ne pas évoquer son souvenir, près de
deux ans après sa disparition. Car celle-ci n'est
autre que physique. Purement organique. Son pouls a beau
avoir cessé de battre, Cobain et la musique de
Nirvana continueront à nous hanter longtemps. Que
ce soit parmi la communauté des musiciens, au sein
d'une jeunesse qui a grandi un peu plus vite, ou encore
au coeur de la sphère médiatique. Cobain
est là. Son cri désespéré
n'est plus qu'un murmure ; cependant, d'autres ont pris
le relais. Pas forcément dans le style qu'on a
associé à Seattle, ni même dans le
discours, mais dans l'esprit surtout, à la différence
près que les suivants auront certainement pu apprécier
les conditions de sa vie, celles de sa mort, ainsi que
la portée de son message. "Qu'on le veuille
ou non, parfois, soulignait Eddie Vedder, on peut devenir
un symbole aux yeux de nos semblables. Et c'est si facile
de tomber ensuite.. Mais je pense qu 'aucun de nous n
'en serait là aujourd'hui, s 'il n'y avait pas
eu Kurt Cobain." Le leader de Pearl Jam exprimait
sans doute là ce que bon nombre de jeunes ont ressenti
à la mort du chanteur de Nirvana.
Nirvana,
c'est d'abord une époque. Une époque-charnière.
Avec les années quatre-vingts s'en allaient les
nappes glaciales de la new wave et les gammeries mélodiques
du heavy metal. Déjà, l'underground, dans
un râle caverneux, donnait le jour à quelques-uns
des groupes qui seraient, quoi que, avec des styles bien
distinctifs, associés au courant grunge, la décennie
suivante. Mudhoney, Pearl Jam, Soundgarden, Alice In Chains...
Avec quelque chose en eux, de pas Yankee, tout droit venu
de la punk anglaise et, dans le même temps de très
américain, car ils représentaient tous ceux
qui n'avaient pas pris le wagon de l'American Dream, mais
plus largement par la suite toute une jeunesse qui pouvait
enfin à nouveau s'identifier à un rock simple
et sincère. Tantôt déprimé,
tantôt enragé mais par-dessus tout authentique
Venu d'Aherdeen, Kurt Cobain, flanqué de Dave Grohl
et de Krist Novoselic n'était pas, au reste, le
premier à brûler les planches de Seattle.
La plupart des autres formations locales connues aujourd'hui
étaient déjà sur le qui-vive. Jusqu'à
l'automne 1991, date de l'enregistrement de "Nevermind",
Nirvana restait confiné dans la plus stricte confidentialité
au sein de l'écurie Subpop, alors que Tad, les
Melvins et Soundgraden notamment annonçaient les
prémices du courant grunge.
Quant,
par la suite, les radios universitaires, imitées
par MTV et la presse écrite, se précipitèrent
sur "Nevermind", le monde accueillit cette musique
comme un phénomène complètement nouveau,
alors que l'underground avait déjà atteint
l'âge de la maturité. "Smells Like Teen
Spirit" était alors érigé en
hymne. Et la vague grunge de déferler sur la planète
comme une onde de choc... Là s'arrêtait sans
doute la vie privée d'un Kurt Cobain qui n'en avait
pas demandé autant, à cent lieues d'imaginer
que lui, paumé entre les paumés, pouvait
prendre l'envergure d'un porte-parole auprès de
toute une génération. Malgré les
excès dont Nirvana aura fait les frais, le soudain
intérêt des médias pour cette musique
venue de l'ombre aura au moins eu le mérite de
faire la lumière sur un rock alternatif sur lequel
on n'aurait pourtant pas misé un kopeck, quelques
années plus tôt. C'était aussi la
preuve que, même sans matériel, sans formation
musicale et sans piston, n'importe quel quidam dévoué
au rock pouvait prétendre à la réussite,
pourvu qu'il ait la rage... Mais ce qui, plus que tout,
a conduit Nirvana à la postérité,
réside surtout dans l'attention que les médias
ont porté sur la vie privée de Kurt Cobain,
alors que celui-ci, voyant progressivement son destin
lui échapper, commençait à apparaître
comme un anti-héros sincère, un authentique
rebelle, un véritable écorché-vif.
L'entrée
en scène de la turbulente Courtney Love ne ferait
qu'amplifier le phénomène de sacralisation.
"Courtney-Kurt". "Love-Cobain" furent
très tôt associés aux Sid et Nancy
de la punk musique des années soixante-dix. Le
leader de Nirvana, en épousant cette femme forte
et volontaire, ne fit que conforter la jeunesse dans la
certitude suivante même si, un temps, le terme "grunge"
avait comporté des connotations machistes et sexistes,
Cobain, lui, était un homme fragile, dont on se
demandait ce qu'il pouvait bien foutre avec pareille tigresse.
Le contraste entre les deux personnages constituait le
terrain idéal pour bâtir une légende.
L'un tentait désespérément de se
démarquer de son destin, tandis que l'autre prenait
le sien en main, affichant un intérêt exceptionnel
pour la chose médiatique. Dès lors, la musique
devenait presque secondaire. Et les médias de suivre,
au jour le jour, les frasques de ce couple turbulent.
Ce qui était d'autant plus aisé que Courtney
était décidée à devancer l'information.
Chaque coup de poing, chaque cuite et chaque trip seraient
désormais rapportés, grâce à
l'épanouissement d'Internet. Au reste, on prendra
sans doute conscience, quelques années plus tard,
du rôle déterminant qu'aura joué l'épouse
de Cobain dans l'essor de cette autoroute de l'information.
Depuis, les sites bourgeonnent comme des mines sur une
zone frontalière. Malheur au groupe qui ne possède
pas son propre site !
Le
rock'n'roll est vendeur, dès lors qu'il devient
dramatique. Or c'est précisément ce qui
s'est passé, bien avant la disparition de Kurt
Cohain. Le caractère dramatique résidait
surtout dans l' impuissance qu'affichait le leader de
Nirvana de se préserver de la pression médiatique,
alors même que son épouse en avait déjà
saisi les rouages. Du jour au lendemain, la presse avait
érigé Cobain en symbole, en porte-parole
d'une adolescence un peu à la dérive. On
attendait désormais de lui qu'il apporte des solutions
et des réponses aux angoisses d'une génération,
en marge de la croissance. C'était une responsabilité
bien lourde pour un homme si frêle, tant sur le
plan physique que sur le plan psychologique. Le leader
de Nirvana n'avait pas envie de mentir ni de tricher.
Or cette spirale de la notoriété devenait
à elle seule un mensonge. Si "Nevermind"
portait déjà un message fort, "In Utero",
du moins, à travers certains titres, apparut comme
une déclaration d'impuissance, en réponse
aux assauts incessants des médias.
Finalement,
si la punk rafraîchie des enfants de Seattle est
devenue une référence obligée dans
l'histoire du rock, et si, malheureusement, quelques-uns
ont imité Cobain en commettant l'acte ultime, l'impact
de Nirvana sur le paysage culturel est tout à fait
déterminant. Il n'est plus besoin, désormais,
de sortir d'une école de musique prestigieuse ou
d'avoir appris auprès d'un big master il n'est
non plus besoin d'avoir un son propre et des appuis solides.
Cobain était un cliché vivant avec sa coiffe
de chasseur et son regard profondément mélancolique.
Cobain n'avait pas a priori, l'envergure d'un guide charismatique
ni même celle du chef de file d'un courant musical.
Il était juste tin bel exemple d'authenticité
parmi une communauté qui avait bien besoin de celle-ci,
histoire de rendre au rock'n'roll une crédibilité
émoussée. A présent, la page est
belle et bien tournée, mais l'empreinte de Cobain
est lisible partout, aux quatre coins de la planète,
entre deux refrains distordus.